by Mwana Bwalya, Lusaka, Zambie, août 1997
THEME = JUSTICE
Une récente enquête au département de la Justice de Lusaka a révélé qu'il a fallu envoyer des magistrats dans les 61 districts du pays pour aider à liquider des affaires en retard. Confirmant ce fait, Philip Musonda, responsable par intérim de l'administration du département de la Justice, affirme que la situation est si "désespérée" que, si on n'intervient pas immédiatement, le cours normal de la justice sera complètement paralysé!
Selon Musonda, "La situation du pouvoir judiciaire est très mauvaise. Nous n'avons que très peu de magistrats et de juges professionnels, certainement pas assez pour assurer partout la justice avec une certaine rapidité. La situation devient urgente".
On compte 30 juges de la High Court répartis dans tout le pays. De ceux-ci, il n'y en a que 14 qui siègent effectivement. Sur les dix magistrats principaux, seuls trois sont disponibles pour les audiences. Il y a six magistrats résidents "seniors", mais il en faudrait 15. Et seuls neuf magistrats résidents siègent, au lieu des 48 qui seraient nécessaires. (Ndlr - voir plus bas la signification de "magistrat résident")
La situation est tellement mauvaise que, dans certains cas, des magistrats de tribunaux locaux ont dû siéger dans des affaires complexes qu'il a fallu transférer ensuite à des cours supérieures. Autre exemple. En une semaine, au mois d'août 1997, la plupart des affaires qui devaient passer devant des magistrats de Lusaka et la High Court ont été renvoyées une fois de plus, et les prisonniers ont dû être ramenés en détention provisoire. Cela parce que les magistrats en question siègeaient dans des districts éloignés, pour essayer de clôturer des affaires qui traînaient.
Ceci pourrait être le résultat de ce qui s'est passé dans les années '80, quand le gouvernement de Kenneth Kaunda a fait réduire le nombre des étudiants en droit à l'université de Zambie.
Un mot d'explication sur l'utilisation du terme "magistrat". En Zambie, ces fonctionnaires sont censés traiter les affaires judiciaires dans les districts ou villes où ils ont été nommés. C'est pourquoi, on les appelle "magistrats résidents". Cependant, vu le manque de magistrats déjà mentionné, ce règlement n'est généralement pas respecté; ainsi, on leur demande d'aider à dispenser la justice partout où il y a un arriéré d'affaires. Quand ils sont hors de leur district, ils portent alors simplement le titre de "magistrats".
Il y a trois types de magistrats ayant le titre de licencié en droit. Occupe le rang inférieur un "magistrat résident" qui n'a aucune expérience, mais a été recruté par la Commission des services judiciaires, au sortir de l'université. Quand le magistrat résident a acquis une certaine expérience ou s'est montré compétent dans son travail, il deviendra "magistrat résident senior". Le grade le plus élevé est celui de "magistrat résident principal" et c'est parmi ceux-ci que le président de la République désigne les juges de la High Court et de la Cour suprême.
Les magistrats n'ayant pas le diplôme en droit universitaire sont appelés "officiers de justice juniors". Ils sont en possession d'un diplôme ou d'un certificat décerné par l'Institut national d'administration publique. Le rang le moins élevé dans cette catégorie est celui des "magistrats de classe III". Viennent ensuite les "magistrats de classe II" et, finalement, le degré le plus élevé, comprenant les "magistrats de classe I". S'ils ne poursuivent pas les études à l'université en vue d'obtenir la licence en droit, ils restent magistrats de niveau I.
La Zambie a des infrastructures relativement bien organisées pour la formation du personnel judiciaire. L'université de Zambie a un programme de premier degré offert aux jeunes qui souhaitent étudier le droit. Après quatre années de formation, ils suivent les cours pour la licence en droit et, s'ils réussissent, ils passent encore neuf mois à l'Institut national d'administration publique, où ils sont attachés à divers tribunaux. Après cela, ils sont admis au barreau et sont prêts à être recrutés. L'Institut national d'administration publique offre aussi des cours de droit pour obtenir diplôme ou certificat pour des magistrats et des juges des tribunaux locaux, ainsi que des cours de droit militaire.
La Commission des services judiciaires recrute de jeunes diplômés pour le compte du gouvernement. La plupart des jeunes avocats préfère ne pas travailler dans les tribunaux, à cause de la maigre rétribution et des piètres conditions de travail. Ils préfèrent chercher un emploi ailleurs. Certains rejoignent des firmes privées ou se font une clientèle privée. D'autres partent à l'étranger où ils sont mieux payés.
En ce qui concerne les nominations supérieures, c'est le président qui nomme ou promeut les juges à la High Court et à la Cour suprême. Cela comprend la nomination du premier président à la cour d'appel. En juillet, le président Chiluba, pour la première fois au cours des 34 années d'indépendance de la Zambie, a nommé deux femmes juges à la Cour suprême: Mmes Lombe Chibesakunda et Florence Mumba.
(Note - Celle de l'enquêteur général est une nomination politique faite par le président; il est choisi parmi les juges en activité de la High Court ou de la Cour suprême. Un enquêteur général est chargé des affaires de népotisme, tribalisme et favoritisme sur les lieux de travail et peut engager des poursuites contre les employeurs coupables de ces crimes).
Les rémunérations de ceux qui sont au service de la loi n'ont jamais suivi l'augmentation du coût de la vie. Et comme la licence en droit obtenue à l'université de Zambie est d'un haut niveau, des "chasseurs de tête" de Gambie et de Namibie recherchent nos diplômés, leur offrant des meilleurs rémunérations ailleurs. Certains sont des gens d'expérience comme l'ancien président de la cour d'appel, Annel Silungwe, qui travaille maintenant en Namibie, ou Frederick Chomba, qui travaille en Gambie, ou encore Raphaël Mungole, qui se trouve au Libéria.
En juillet 1997, le président Frederick Chiluba a augmenté les traitements des juges de 207%. Le montant de ce qu'ils gagnent actuellement est un secret bien gardé, mais on sait qu'après l'augmentation le traitement du président de la cour d'appel s'est élevé à 20 millions de kwachas (1 $US = 1330 kws). A la suite des augmentations, il y a eu des critiques et des sentiments mélangés: les plus jeunes fonctionnaires de la justice n'ayant pas bénéficié de cette augmentation ont réclamé leur "juste part"; des fonctionnaires d'autres secteurs ont déclaré les augmentations "inconstitutionnelles".
Seule l'Association des juristes de Zambie (LAZ) a donné son plein soutien aux augmentations, affirmant qu'elles "se faisaient attendre depuis longtemps" et qu'elles étaient nécessaires parce qu'elles inspiraient la confiance et prévenaient la corruption. Le président de la LAZ, George Kunda, a déclaré que les appointements habituels des juges et magistrats étaient "misérables et scandaleux".
Pour compléter le tableau, il faut remarquer que le traitement du procureur général, de l'enquêteur général, du conseiller juridique près le ministre de la Justice, du secrétaire du cabinet et du commissaire général aux comptes est fixé par une loi du Parlement.
Il en allait de même pour les juges avant que le gouvernement du Mouvement pour la démocratie multipartite (MMD) du président Chiluba prenne le pouvoir. Mais depuis que la loi sur les traitements a été abrogée, en 1993, le traitement des juges est fixé par le président et ratifié par le Parlement.
L'augmentation des rémunérations des juges a rendu le public soupçonneux. L'opposition en particulier estime que cela pourra avoir de l'influence sur le jugement de la Cour suprême au sujet d'une affaire bien précise encore en jugement: celle de la parenté du président Chiluba, contestée par l'opposition.
Les leaders de l'opposition affirment que le père de Chiluba, Luka Chabala Kafupi, était originaire du Congo (ex- Zaïre). Or, la Constitution interdit aux Zambiens nés de parents étrangers d'occuper la présidence. C'est la même loi qui a empêché Kenneth Kaunda d'accéder à la présidence, ses parents étant nés au Malawi.
Les dirigeants de l'opposition veulent que le président ainsi que son père se soumettent au test de l'acide deoxyribonucléique (ADN) pour établir la vérité; mais la Cour suprême a rejeté cette demande. Déjà précédemment, ils avaient demandé l'annulation de l'élection à la présidence de Chiluba, parce qu'il avait utilisé un de ses noms, "Titus", qui ne figure pas sur sa carte d'enregistrement national; mais la Cour suprême s'était encore une fois prononcée contre cette attaque.
L'année passée, après que les candidats à la présidence aient introduit leur candidature, l'opposition avait contesté la candidature de Chiluba devant la Cour suprême; mais le président de la Cour rejeta aussi cette contestation déclarant qu'elle était "prématurée et inacceptable".
La Cour suprême a statué contre l'Etat dans diverses affaires, une d'entre elles concernant des membres de l'opposition accusés d'avoir lancé une bombe contre des bureaux du gouvernement. Cependant, les affaires concernant Chiluba et perdues par l'opposition font dire à beaucoup de Zambiens que "les juges courent le risque d'être limogés par le président, qui est l'autorité qui les nomme". De là, ils concluent que, dans la pratique, le pouvoir judiciaire n'est pas tellement indépendant de l'exécutif.
Il est décourageant de remarquer que les juges zambiens ne disposent pas d'un code de bonne conduite pour les guider dans leur travail. Il en va différemment avec l'Association des avocats de Zambie, qui a déposé un code de bonne conduite pour les avocats du pays et pénalise ceux qui vont à l'encontre de son éthique. Cela signifie que les juges (nommés par le président) sont, en fait, nommés politiquement et qu'ils ne peuvent donc pas être renvoyés par leurs pairs.
Un avocat de Lusaka disait que puisqu'aucune règle n'établit ce qu'un juge "doit faire" et ce qu'il "ne doit pas faire", et à cause du système de nomination à la Cour, il faut que l'exécutif prouve, au-delà de tout doute raisonnable, qu'un juge ne doit pas occuper cette place. En pratique, cela laisse le juge, qu'il se trompe ou non, complètement à la merci du président, et cela est clairement établi dans la nouvelle Constitution.
L'art. 98-3 déclare: "Tout juge à la High Court ou à la Cour suprême peut être écarté de sa charge par le président. Cette mesure doit être ratifiée par le Parlement". Mais certains avocats ont déjà sonné l'alarme décrivant cet article comme "une recette d'anarchie et d'érosion de l'indépendance du pouvoir judiciaire".
L'art. 98-2 stipule: "Tout juge à la High Court ou à la Cour suprême peut être écarté de sa charge pour raison de santé, folie, ivrognerie ou comportement déréglé". Mais la Constitution ne prévoit pas la révocation d'un juge pour manque d'impartialité dans l'exercice de ses fonctions, ou pour entorse à la Constitution ou à la loi.
Pourtant, si on considère le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, selon l'art. 37-1, le président peut être révoqué s'il viole la Constitution ou commet une grave erreur de gestion. Et d'après l'art. 72-2, un membre du Parlement peut perdre son siège s'il contrevient au code de bonne conduite édicté par la loi du Parlement. Et d'autres articles prévoient des contrôles et des évaluations pour le pouvoir exécutif et pour le pouvoir législatif. Mais ces mêmes contrôles et évaluations manquent dans les articles de la Constitution concernant le pouvoir judiciaire.
Il faut donc nous poser la question: Est-il vraiment indépendant?.
En dernière analyse, les juges sont nommés et révoqués par l'exécutif, et la Constitution semble ignorer la question capitale de leur impartialité. Où se trouve, alors, l'indépendance du pouvoir judiciaire?
END